Paris+ par Art Basel: Hilary Balu

Grand Palais Éphémère, 20 - 23 Octobre 2022 

Un lieu, des objets, des personnages. Sur un fond souvent monochrome comme une narration, les héros d’Hilary Balu se détachent. Chaque toile est une scène et chaque série un chapitre de l’odyssée africaine. Regardons ceux qui partent : des familles loin d’être touristes, des hommes réduits à des marchandises, des enfants qui rêvent de puissance. Les deux derniers chapitres d’Hilary Balu In the floods of Illusions et From Fantasy to Escape nous embarquent dans l’espace, sur les mers et en forêt, à la recherche d’une histoire perdue, revécue, tristement, ironiquement retrouvée. Le long de leur périple, ces héros épuisés découvrent les préjugés qu’on leur mit en tête, ils redécouvrent l’origine des objets vénérés, ils sont vêtus de tissus pourpres, d’habits bleus et jaunes. Les couleurs nous saisissent.

 

Hilary Balu conduit notre œil dans une fresque à la composition impressionnante ; réminiscences des mers tumultueuses de Turner ; vestiges des paysages de Frans Post, où l’homme africain n’est plus ce personnage minuscule en arrière-plan, un esclave, mais l’homme au centre, en grand, avec ses expressions de piété, avec ses postures lasses comme s’il était toujours embarqué malgré lui, passif, réifié, volé. Certains regards sont lointains. D’autres se tournent vers nous et semblent dire : « Vous voyez ? ». Au contraire d’Ulysse, le héros blanc qui combattit sur des terres étrangères et qui erra pour retrouver son Ithaque, les personnages d’Hilary Balu quittent leur terre natale et accostent les régions du monde qui, jadis, les ont exploités. Et si les troyens n’ont pas fui vers la Grèce, la jeunesse de la République Démocratique du Congo, elle, sans le savoir, reproduit la trajectoire des esclaves.

 

« Je me rappelle qu’enfant, j’avais du mal à manger de la confiture et chaque fois mes parents me disaient que je devais en manger, car c’était la nourriture de blanc. Plus tard, mes amis et moi, on fantasmait beaucoup à l’idée de partir en Europe à pied. J’ai voulu me questionner sur ces fantasmes, sur ces complexes que nous avions par rapport à l’Europe, le continent pavé. Mais plus encore, je voulais comprendre comment ces complexes sont arrivés chez nous et en nous. »

 

Hilary Balu cherche le point de fuite, l’origine du départ. Ses séries sont une traversée aussi bien spatiale que temporelle, du XVe siècle à nos jours, du capitalisme européen à l’esclavage, des rêves et chimères implantés dans l’esprit d’un enfant, à l’admiration des rois kongo devant les objets importés par les Portugais. L’histoire racontée par Balu est l’ironie de l’histoire, la continuité de la violence, l’imagination qui pousse les exploités à retourner au pays des exploiteurs.

 

Le voyage a commencé au plus loin, dans l’espace. Voyage vers Mars (2020) met en scène de façon métaphorique la migration contemporaine d’une population, transformée par le capitalisme et la société de consommation. L’autre est une autre planète. Les cosmonautes, allégorie du migrant, quittent une terre devenue inhospitalière, en proie aux conflits et aux difficultés économiques. Ironiquement, ces voyageurs forcés ont pour bagage des sacs touristiques affichant les décors des capitales mondiales – ainsi se mêlent les tongs et Nkisi Mangaaka, sculpture divinatoire ancestrale.

 

In the floods of illusions

 

Le voyage se poursuit sur les mers : L’eau est habitée par des fantômes, des illusions, des souvenirs et des rêves, confie Hilary Balu. Traditionnellement, dans la perspective capitaliste, les hommes vont sur la mer pour des intérêts puissants, pour le commerce. Or, dans cette série, les intérêts sont des chimères. L’eau est l’élément du rêve. La culture kongo avait de l’océan l’image d’un monde mythique et infranchissable, fantasme que l’artiste rappelle en s’inspirant des peintures européennes du XIXe siècle, comme celles de Turner, fantasme selon lequel meilleur serait ailleurs.

 

From fantasy to escape

 

Le dernier voyage est en Amérique. Hilary Balu nous raconte les rapports nord-sud qui ont lieu entre le XVIe et XVIIe siècle, ainsi que les impacts sur la société contemporaine africaine. Comprendre la traite négrière, la traversée vers cette nouvelle terre que l’Europe a préparé pour eux, ou plutôt, pour le système capitaliste dont ils sont les outils. La question est posée : pourquoi des africains, aujourd’hui, rêvent d’Occident ? Pourquoi empruntent-ils d’eux-mêmes, par les forêts, au Brésil, les mêmes chemins qu’ont empruntés leurs ancêtres ?

Cette série fait le lien entre ces deux époques – du fantasme à l’évasion. Pour ce faire, Balu nous invite à revoir les tableaux de Frans Post, le peintre hollandais : « Quand on regarde Frans Post, on voit des paysages. On voit des animaux sauvages, le monde exotique du Brésil. On croit que c’est un regard naturaliste, mais ce n’est rien d’autre qu’une vision coloniale. L’espace de Frans Post est une conquête du corps noir, du corps africain, pour alimenter l’entreprise mondiale de l’esclavage. Pour moi, reprendre Post est une manière de défier le fantasme européen. »

 

À propos de l’artiste

 

Le goût d’être artiste nait dès l’enfance chez Hilary Balu. Il recopie les images de cinéma, les bandes annonces, les affiches, ainsi que les dessins de son père qui occupait son temps libre en reproduisant les objets de la maison. Avec l’aide de ses oncles et ses tantes, il obtient de son père de suivre une formation artistique. Il étudie à l’Académie des Beaux-Arts de Kinshasa. Alors jeune diplômé, au détour d’une conversation durant un vernissage de l’artiste Vitshois Mwilambwe Bondo à Kinshasa, Hilary Balu voit ses convictions académiques bousculées. Il s’émancipe des codes occidentaux et des techniques apprises à l’école, et recherche une esthétique à laquelle il peut s’identifier en tant que congolais mais aussi africain.

 

Les peintures d’Hilary Balu dévoilent une société africaine transformée par la mondialisation et la société de consommation. La « mutation brutale » qu’a connue la République Démocratique du Congo dans son identité culturelle, politique, économique et spirituelle est représentée à travers une symbolique de l’objet. L’artiste l’érige en mémoire collective.

 

Né en 1992 à Kinshasa, République Démocratique du Congo où il vit et travaille, Hilary Balu a été résident en 2021 de Black Rock Sénégal, résidence d’artiste fondée par Kehinde Wiley. Ses œuvres figurent dans les collections The Jean Pigozzi Collection of African Art, Genève; Farida et Henri Seydoux Collection, Paris; CBH Collection, Genève.

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