La création artistique contemporaine n’est pas que concept et protocole. Des artistes puisent aussi leur énergie dans le geste et le travail de la matière. Nathalie Boutté préfère à « l’hyper-immédiateté » d’un acte créatif, le temps long.
L’artiste s’intéresse aux photographies anciennes, et surtout aux portraits d’anonymes. Elle réinvente ces images du passé en assemblant minutieusement des languettes de papier une à une pour recréer les portraits. A l’occasion de sa première exposition personnelle en France, Nathalie Boutté revisite les portraits d’africains américains du fonds de photographies de Rufus W. Holsinger, photographe installé en Virginie aux Etats-Unis en 1880.
Son travail, indissociable du collage comme de la photographie, se situe à la rencontre de ces pratiques de fixation et de création d’une image. De près, le regard se perd dans un enchevêtrement de lettres. L’image reconstituée se dévoile au fur et à mesure que l’on s’en éloigne et que l’œil s’accommode aux collages.
Elle documente une époque et se joue des temporalités, le passé est une présence quotidienne et une source d’inspiration. Projetées dans notre réalité ces œuvres ainsi rassemblées peuvent servir de contre-récit à la réalité historique de la ségrégation. Devant l’objectif de Rufus W. Holsinger, blancs et noirs sont égaux. Sous les doigts de Nathalie Boutté, leur couleur de peau n’apparait plus comme un élément constitutif de leur position sociale. Seuls leur regard et leur présence au milieu du plumage des languettes dominent.