Parce que la production artistique ghanéenne ne se limite pas à la peinture figurative reconnue par le marché de l’art occidental, l’exposition Magic Ghana invite à découvrir l’inventivité et la singularité d’artistes exposant pour la première fois en galerie. Magic Ghana est le fruit d’une longue conversation entre l’ethnologue Regula Tschumi, qui partage sa vie entre la Suisse et le Ghana depuis plus de 20 ans, et André Magnin, qui a sélectionné les artistes et les oeuvres présentées.
Ataa Oko, menuisier de formation, a développé une oeuvre graphique tardive et originale, initiée par sa rencontre avec Regula Tschumi. Ses dessins, peuplés de figures humaines, d’animaux et d’esprits, capturent les relations entre le monde visible et le monde spirituel. De son côté, Eric Kpakpo réinterprète les tabourets de pouvoir des chefs de l’ethnie Ga, créant des sculptures qui, tout en étant ancrées dans la tradition, reflètent une vision personnelle et imaginative. Les photographies de Regula Tschumi, quant à elles, saisissent un quotidien en apparence banal, qu’elle transcende par la poésie de ses cadrages. Sa profonde connaissance de la société ghanéenne lui permet de porter un regard unique et de capturer, sur le vif, des images inattendues, révélant des détails d’une force, d’une beauté et d’une poésie saisissantes.
Ataa Oko Addo (1919-2012), menuisier de formation, est l’une des figures fondatrices de l’art funéraire ghanéen. Il fait partie des premiers artisans à concevoir les célèbres cercueils figuratifs de la région d’Accra, qui rendent hommage aux défunts en incarnant des aspects essentiels de leur vie ou de leur métier. Dans cette tradition artistique unique, un pêcheur peut reposer dans un cercueil en forme de poisson, un agriculteur dans un maïs…
L’oeuvre dessinée d’Ataa Oko est tardive. Elle fait suite à sa rencontre avec l’ethnologue Regula Tschumi qui dans le cadre de ses recherches sur les sculptures funéraires ghanéennes, l’encourage à dessiner, de mémoire, les cercueils figuratifs qu’il a créés tout au long de sa carrière.
Abandonnant les gouges et les ciseaux pour le papier et les crayons de couleur, Ataa Oko âgé de 83 ans commence par dessiner des cercueils et des palanquins. Mais peu à peu, il s’affranchit de ses souvenirs pour explorer de nouveaux sujets. Ses dessins se remplissent de couleurs vives et de formes inédites, donnant naissance à des animaux fantastiques, des personnages imaginaires, et des êtres étranges ou monstrueux.
En connexion avec l’au-delà, Ataa Oko, fréquemment visité par des esprits, les représente sur le papier. Ses oeuvres sont un mélange fascinant de son imaginaire et de son quotidien. Ses dessins, marqués par cette dualité entre réalité et monde spirituel, révèlent une profondeur nouvelle dans son travail, témoignant de son évolution artistique et de sa capacité à transcender les frontières entre le tangible et l’invisible.
Jusqu’à sa mort en 2012, Ataa Oko a ainsi produit une collection unique d’oeuvres graphiques, dont une partie appartient aujourd’hui à la Collection de l’Art Brut à Lausanne. Ses cercueils et dessins ont été exposés pour la première fois en 2006 au Kunstmuseum de Berne, dans l’exposition Six Feet Under: Autopsie unseres Umgangs mit Toten. En 2010, la Collection de l’Art Brut à Lausanne présente Ataa Oko et les Esprits, sa première exposition individuelle.
Après de nombreuses présentations collectives à travers le monde, une nouvelle exposition lui est consacrée en 2022 au Museum der Völker de Schwaz, en Autriche, intitulée Die Geister spielen Fussball. Zeichnungen und Skulpturen des ghanaischen Künstlers Ataa Oko Addo (1919-2012).
Magic Ghana, qui rassemble une quarantaine de dessins d’Ataa Oko est la première présentation de l’artiste dans une galerie d’art.
Cette exposition est aussi l’occasion pour André Magnin de renouer avec son histoire personnelle. Parmi les oeuvres exposées, on trouve le célèbre cercueil Mercedes de Kane Kwei, présenté pour la première fois à Paris 35 ans plus tôt lors de l’exposition Magiciens de la terre (Centre Pompidou-Grande Halle de la Villette, 1989). Cet art funéraire a de nouveau été mis à l’honneur par le Centre Pompidou en 2010 dans le cadre du Prix Marcel Duchamp. Pour son projet Anthologie de l’humour noir, l’artiste Saâdane Afif avait fait réaliser au Ghana un cercueil représentant le Musée. Cette initiative avait été accompagnée par André Magnin et Regula Tschumi qui rédigea le texte du catalogue.
Cette tradition s’est perpétuée jusqu’à nos jours. Eric Kpakpo, né en 1979, est un artisan spécialisé dans la réalisation de cercueils figuratifs pour le marché local. Il apprend son métier auprès de Paa Joe, avant d’ouvrir son propre atelier à La en 2006. C’est là qu’il rencontre Ataa Oko, avec qui il collabore pour réaliser un cercueil en forme de poule destiné à l’exposition Six Feet Under au Kunstmuseum de Berne.
Pour Magic Ghana, Eric Kpakpo a créé 18 tabourets uniques, ornés de divers symboles. Ces objets, traditionnellement utilisés par les prêtres et les chefs de l’ethnie Ga, à laquelle Kpakpo appartient, sont considérés comme des signes de pouvoir dont les symboles sculptés, sont étroitement liés à leurs propriétaires.
Pour leur fabrication, l’artiste s’est inspiré des techniques artisanales apprises auprès de ses pairs, avant de les adapter à ses créations. Ainsi, les tabourets sont peints en blanc selon la tradition mais les symboles colorés qui les ornent ont été imaginés uniquement pour cette exposition. Regula Tschumi a accompagné Kpakpo tout au long de ce processus créatif, documentant son travail à travers des films et des photographies.
Titulaire d’un doctorat en ethnologie, elle a commencé la photographie pour illustrer ses recherches sur les cercueils et palanquins figuratifs au Ghana entre 2003 et 2012. Initialement destinées à documenter son travail, ses photographies de rituels funéraires ont rapidement été exposées dans des musées, tout en étant reproduites dans de nombreuses publications.
À l’occasion de l’exposition Magic Ghana, elle présente pour la première fois en galerie ses photographies artistiques, offrant un regard neuf et poétique sur la vie quotidienne au Ghana. Ces prises de vue, empreintes de spontanéité, capturent des moments fugaces, révélant la beauté et la complexité de la culture ghanéenne.