Modern Congo: 1930 - 1960

14 Octobre - 23 Décembre 2023

« L’artiste se forge dans cet aller et retour perpétuel de lui aux autres. À mi-chemin

de la beauté dont il ne peut se passer et de la communauté à laquelle il ne peut

s’arracher. »

Albert Camus

L’exposition Beauté Congo à la Fondation Cartier pour l’Art Contemporain a eu lieu en 2015. Nous dévoilions un ensemble d’oeuvres d’artistes modernes et contemporains. Écrite en toute liberté, cette histoire couvre presque un siècle de création. Elle était le fruit du hasard et de la nécessité. Le hasard des contacts entre des hommes, des Congolais et des Européens, séparés par leurs racines, leur culture et la nécessité d’en suivre le fil pour présenter ce que les artistes avaient produit : une somme d’oeuvres magistrales témoignant de l’ardeur artistique du Congo.

Une nouvelle exposition, Modern Congo, présentée à la galerie MAGNIN-A se concentre sur les deux périodes distinctes des artistes modernes (1927-1932) et les artistes dits « du Hangar » (1946-1954) précurseurs de la peinture contemporaine en Afrique Centrale.

Ébahi par la modernité des peintures qui ornaient les murs de cases, le belge Georges Thiry, alors en poste au Congo a repéré Albert et Antoinette Lubaki au village de Bukama au Katanga en 1926 puis Tshyela Ntendu [Djilatendo] au Kasaï en 1927. Il fournit couleurs et papier à ces « décorateurs de cases » qui se mettent à peindre la vie au village, la brousse, la faune et des compositions géométriques pures, abstraites, superbement colorées. De ce premier regard européen sur l’art moderne congolais s’ensuivront des expositions et une véritable fascination. Lubaki expose pour la première fois en 1929 lors de l’inauguration du Palais des Beaux-Arts de Bruxelles puis au musée d’Ethnographie à Genève et, sous l’égide de la revue Jazz, à la galerie parisienne Charles-Auguste Girard, en 1931. Tshyela Ntendu (Djilatendo) participera à l’exposition coloniale de 1931 à Vincennes puis à Rome. La même année, la galerie du Centaure à Bruxelles l’exposera aux côtés de Permeke, Delvaux et Magritte. Mais tout s’arrête lorsque Thiry et son supérieur Gaston-Denys Périer, amateur d’art moderne, à Bruxelles, ne s’entendent plus.

La rencontre suivante entre les deux regards Europe-Congo a lieu juste après la guerre grâce au marinier français Pierre romain-Desfossés, peintre à ses heures qui abandonne tout en France et part s’installer à Élisabethville (aujourd’hui Lubumbashi). Pénétré de la conviction qu’il existe dans cet immense et riche pays une esthétique fondamentalement autre, il fonde en 1946 l’atelier du « Hangar » et réunira de nombreux artistes auxquels il donne toute liberté et les enjoint « de laisser s’épanouir leur génie inventif pour exprimer leur perception de la réalité ».

Une dizaine d’artistes se font ainsi un nom : Pilipili Mulongoy, Mwenze, Kibwanga, Bela, Ilunga, Kayembe, Kaballa, N’Kulu... Chacun a son style. Ils se saisissent de leur environnement, de leurs traditions, de tout ce qui forme leur quotidien, les animaux, les poissons, les villageois...la nature à laquelle ils sont unis. Ils saturent leurs tableaux de couleurs et de signes, le vide n’existe pas. Ils transcendent la réalité par un geste poétique intense. Les oiseaux nagent, les poissons volent, la brousse s’anime ; la nature et la faune qu’ils représentent sont moins celles qu’ils voient que celles qu’ils éprouvent. Elles sont un pont entre le tangible et l’intangible. Pour qui s’est familiarisé avec l’art du Congo, les oeuvres du Hangar portent le sang et l’ardeur de ce vaste pays d’où elles jaillissent avec une créativité inouïe. Il n’y a pas de filiation entre elles et la période Lubaki et Djilatendo. Elles sont advenues. Au début des années cinquante de multiples expositions présentèrent leurs oeuvres en Belgique, à Paris puis Rome, Londres, au MoMA à New York et en Afrique du Sud. Depuis ces périples, leurs oeuvres resteront, pour la plupart, « oubliées » jusqu’à l’exposition Beauté Congo à la Fondation Cartier pour l’Art Contemporain en 2015.

90 ans après le Palais des Beaux-Arts et la galerie Centaure à Bruxelles, 70 ans après le MoMA, l’exposition Modern Congo à la galerie MAGNIN-A se concentre exclusivement sur des oeuvres modernes 1930-1960 parmi les plus exceptionnelles et rares, répertoriées à ce jour. Elle réunira un ensemble d’une cinquantaine d’oeuvres du vibrant Congo traversé d’énergies des plus tranquilles aux plus volcaniques. Ces oeuvres ne se rattachent à rien, il n’y a pas de mode d’emploi pour les pénétrer, sinon une disponibilité d’esprit afin de se les approprier, chacun à sa manière.

 

André Magnin